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Dossier: Le conflit syrien

Les crimes de guerre établis et documentés par plusieurs organisations internationales des droits de l’Homme à la crédibilité reconnue et instruits par des procureurs internationaux, rendent Bachar Al-Assad justiciable auprès de la Cour pénale internationale.

Bachar Al Assad prend le pouvoir (Putsch 1970)

En 1970, Hafez Al-Assad, père de Bachar, s’empare du pouvoir par un putsch, se débarrasse de ses adversaires et établit une dictature sécuritaire verrouillée. À sa mort en 2000, la constitution du pays est modifiée afin que son fils lui succède. Après une courte période de libéralisation, surtout économique, Bachar rétablit un système autoritaire autour d’un clan familial et militaire, affairiste et corrompu.

liberté, justice et dignité

En 2011, l’exaspération est à son comble. L’embellie économique tant vantée par le pouvoir – et largement exagérée dans les chiffres – n’a profité qu’à une bourgeoisie des villes proche du régime. Son train de vie était scandaleusement affiché. La corruption était généralisée, alors qu’une grande partie des Syriens vivaient dans la pauvreté. Résultat : une augmentation des chômeurs et laissés pour compte. Beaucoup de jeunes, dont un nombre important de diplômés, ne se voyaient aucun avenir. A cela s’ajoutait un maillage sécuritaire étouffant qui privait la population de droits et empêchait toute initiative. La sécheresse de 2006 à 2010 a enfin provoqué une montée des prix et poussé 1,5 millions de personnes à rejoindre les périphéries des villes. Les conditions étaient réunies pour une explosion sociale. Il fallait une étincelle.

Comme pour les autres révolutions du « Printemps arabe » au début de l’année 2011, la contagion contestataire a atteint la Syrie en mars dans la foulée de la Tunisie, l’Egypte, la Libye, le Bahreïn et le Yémen. Les Syriens s’étaient enthousiasmés pour le renversement des dictatures de Ben Ali puis de Moubarak. Comme les autres peuples arabes, ils ont voulu manifester leur aspiration au changement, pour réclamer « liberté, justice et dignité », selon les premiers mots d’ordre de la révolution syrienne.

En mars 2011, de jeunes collégiens, des adolescents dont l’âge est celui de la transgression, écrivent par jeu sur les murs de Deraa dans le sud du pays le slogan scandé dans toutes les rues arabes : « Le peuple veut la chute du régime ». Ils sont arrêtés par les services de sécurité et torturés.

À la suite de cet acte, les manifestations s’étendent par capillarité dans tout le pays. Des centaines de milliers de manifestants pacifiques réclament la démocratie et la fin de la corruption. Les forces du régime répondent systématiquement en tirant sur la foule, faisant des morts et des blessés. Dans le même temps, des centaines de jeunes activistes et autres civils sont arrêtés et disparaissent dans les prisons du régime. La répression chaque jour plus féroce, provoque de nouvelles protestations et demandes de réformes. Le cycle manifestation/répression se poursuit pendant des mois. A la fin de l’année 2011, l’ONU dénombre déjà 5000 morts.

2013 Utilisation du gaz !

Avec, la généralisation de la révolte à travers le pays et les défections dans l’armée, le régime n’a plus suffisamment de troupes pour s’imposer partout. La priorité pour lui est donc d’empêcher l’insurrection d’atteindre les grandes villes, par un fort maillage sécuritaire. Ainsi, à Damas, les premières manifestations sont appelées « manifestations volantes », car elles s’évaporent avant que la répression ne prenne place. Échappent au contrôle du régime des zones rurales et péri-urbaines où des groupes armés rebelles se sont formés localement. Un grand tournant intervient à l’été 2012, quand les brigades de l’Armée Syrienne Libre, s’emparent d’une grande partie des quartiers populaires d’Alep, deuxième ville et capitale économique du pays. L’armée régulière cède sous la pression de l’offensive rebelle et se retire aussi de larges portions du nord-ouest du pays, autour d’Alep et d’Idlib. La prise de plusieurs postes frontières avec la Turquie par l’ASL permet l’accès plus facile des hommes et des armes aux rebelles, mais aussi l’arrivée de premiers combattants étrangers. Les zones dites « libérées » du contrôle du régime sont administrées par les populations locales qui créent des « Conseils civils » pour gérer les affaires quotidiennes. Elles sont quotidiennement bombardées par l’aviation du régime, provoquant la destruction et surtout le départ de dizaines de milliers de réfugiés.
Sur le terrain militaire, l’ASL qui représente le mieux le soulèvement de 2011 a perdu beaucoup de terrain, les autres mouvements de la rébellion n’adoptent guère le langage démocratique, certains pas du tout. Non, car les idéaux de 2011 et une partie de ceux qui les portaient sont encore là. Ils sont encore nombreux les combattants qui veulent renverser la dictature afin de permettre aux Syriens de déterminer eux-mêmes quel gouvernement ils veulent pour leur pays. La société civile reste présente par des projets divers d’organisation et de résistance dans les zones tenues par la rébellion. Les jeunes et moins jeunes actifs dans la contestation en 2011 se sont investis dans ces projets, du moins ceux qui sont restés car beaucoup ont quitté le pays du fait de la répression qui les visait particulièrement. Un grand nombre d’entre eux ont été arrêtés, emprisonnés, torturés ou exécutés.

L’état islamique s’invite

L’Etat islamique ou (selon son acronyme arabe), apparu sur le terrain à partir du printemps 2013, la redoutable formation jihadiste est composée à 80% de non Syriens, des extrémistes venus du monde entier. Elle a un tout autre agenda que l’opposition syrienne au régime de Bachar Al-Assad. Elle a proclamé en juin 2014 un « Califat » sur une grande partie du territoire syrien et irakien et contrôle toute la moitié orientale de la Syrie le long de la frontière avec l’Irak, berceau et base du mouvement. Elle s’est imposée par la force et la terreur, chassant les formations rebelles syriennes, notamment à Raqqa, sa capitale syrienne, soumettant la population locale à sa loi et commettant des atrocités. Attaquée depuis l’été 2014, par les raids aériens d’une coalition internationale menée par les Etats-Unis, puis depuis l’automne 2015 par les aviations russe, française, britannique, la formation jihadiste se trouve sur la défensive. Elle s’est projetée dès lors à travers le monde revendiquant des actions terroristes sanglantes et spectaculaires, notamment en France, mais aussi en Tunisie, en Egypte, etc

Chacun des trois principaux acteurs – régime, opposition, Daech – prétend à une victoire totale et donc à la défaite totale des deux autres. C’est l’explication principale de la durée du conflit en Syrie.

L’artisan du conflit

Bachar Al-Assad succède à son père en 2000, faisant ainsi de la Syrie, avec la Corée du Nord, le seul cas de république héréditaire. On parle de « répumonarchie ». Médecin, il porte un costume, il n’a pas de barbe, il parle anglais, bref il nous ressemble. Depuis son arrivée au pouvoir en effet, Bachar Al-Assad et sa femme offrent une image calculée à l’Occident : celle d’un couple moderne, occidentalisé (ils se sont rencontrés à Londres où il étudiait l’ophtalmologie), civilisé ! Il a fait de ses diverses apparitions médiatiques une véritable campagne de communication. Cette opération de séduction a fonctionné longtemps auprès des dirigeants et des opinions publiques occidentales. Quant à sa « laïcité », c’est considérer que la laïcité n’a pas besoin d’être démocratique. Comme son père avant lui, Bachar Al-Assad a compris le bénéfice qu’il pouvait tirer de la montée de l’islamisme en se présentant comme un rempart. Il a par ailleurs instrumentalisé les minorités, prétendant que s’il interdit tout pluralisme politique, il protège une certaine pluralité religieuse et ethnique. Mais les différentes communautés syriennes n’ont pas attendu le régime des Assad pour vivre ensemble. De la même manière, les Assad ont perçu le potentiel de la cause palestinienne pour leur propre survie. Ils alimentent un discours de résistance, tout en n’hésitant pas à combattre férocement les principaux acteurs palestiniens, au Liban dans les années 1980, et en Syrie pendant la révolution, notamment dans le camp de Yarmouk.

Le président syrien est responsable des violences commises par son armée, qui ont abouti à la destruction d’une grande partie de la Syrie, à la mort de centaines de milliers de civils et au déplacement de millions de Syriens hors du pays et à l’intérieur. Par ailleurs, la liste des exactions et des crimes commis par les forces armées du régime contre la population syrienne n’a cessé de s’allonger depuis le début du conflit. L’utilisation massive d’armes interdites même en temps de guerre contre la population civile, y compris par le gaz comme lors des attaques chimiques dans les environs de Damas l’été 2013, les disparitions forcées ou les tortures à mort des prisonniers par milliers, sont les exemples les plus flagrants. Comme Staline avant lui, Bachar Al-Assad organise également l’extermination par la faim, en assiégeant les villes qui lui résistent. Les crimes de guerre établis et documentés par plusieurs organisations internationales des droits de l’Homme à la crédibilité reconnue et instruits par des procureurs internationaux, rendent Bachar Al-Assad justiciable auprès de la Cour pénale internationale.

Au final

Garder tout le pouvoir à tout prix est la position constante du régime syrien depuis le début de la crise en 2011. Reposant depuis 40 ans sur un système sécuritaire verrouillé et la domination d’un clan familial accaparant les ressources politiques et économiques du pays, le régime de Bachar Al-Assad ne veut rien céder. Il a opposé une fin de non-recevoir aux réformes réclamées par la population au début de la révolution en répondant par une répression féroce et systématique. Qualifiant tous les opposants de « terroristes », il s’est permis l’emploi de tous les moyens pour combattre les contestataires, et en particulier les opposants démocrates, qu’il craint le plus. Le régime continue jusqu’aujourd’hui de rejeter tout compromis politique
L’escalade de la répression armée est la première clé de la survie du régime qui n’a reculé devant rien. Parallèlement, le régime a mobilisé les craintes communautaires, lui permettant de resserrer autour de lui en particulier les Alaouites, otages car inquiets pour leur avenir, et d’attiser le tourment des puissances occidentales sur le sort des chrétiens dans une Syrie après-Assad. Mais le facteur déterminant a été le soutien de ses principaux alliés, l’Iran et la Russie, qui l’ont fourni massivement en hommes, en armes et en matériel, intervenant même directement sur le terrain et le protégeant également sur le plan diplomatique à l’ONU

Le conflit syrien

Militarisation du conflit

La « militarisation » de la révolution est un tournant très controversé, y compris parmi les opposants syriens. Elle commence simplement dans une logique de défense : il s’agit de protéger les manifestants des balles du régime. Des civils prennent les armes pour défendre leurs quartiers et villages contre les exactions de l’armée et des forces de sécurité. Parallèlement, des soldats de l’armée refusent de tirer sur leurs concitoyens. Certains sont exécutés par leurs supérieurs tandis que les autres n’ont d’autre choix que de déserter. Le 31 juillet 2011, un communiqué d’officiers déserteurs, réfugiés en Turquie, annonce la création de l’Armée Syrienne Libre et appelle d’autres militaires à la rejoindre. Elle dispose d’armes légères que les soldats ont emportées avec eux et n’a pour but que de défendre les manifestants. La répression de l’armée syrienne passe alors du fusil au canon. En février 2012, l’investissement direct de l’armée dans les villes fait franchir au conflit un seuil supplémentaire dans la militarisation.

Insurrection ou guerre civile

Quand un mouvement populaire veut mettre un terme à une dictature, en renversant une dynastie au pouvoir depuis plus de 40 ans, si ce n’est pas une révolution, ce mot n’a plus de sens. Certains disent que cette révolution a évolué en « insurrection armée ». D’autres considèrent que dès lors qu’une confrontation armée a lieu entre des forces d’un même pays sur un même territoire, il faut parler de « guerre civile ». Les combats entre Syriens se multiplient en effet avec l’augmentation du nombre de déserteurs ou de civils ayant pris les armes. Il s’agit de combats asymétriques entre la puissante armée régulière avec ses chars, ses canons et son aviation et des combattants rebelles armés de fusils mitrailleurs et parfois de lance-roquettes. Pour d’autres enfin, la crise syrienne est devenue, du fait des actions du régime et de ses alliés, une « guerre contre les civils ».

Le pouvoir en place

La famille Assad appartient à la communauté alaouite, qui compte environ 10 % de la population syrienne mais est fortement représentée dans l’armée et les services de sécurité. Le démographe parle de « minorité démographique politiquement dominante ». La majorité sunnite de la population (72 %) accepte mal la domination politique et militaire d’une communauté minoritaire, qui lui dénie l’accès à tout poste de responsabilité.

Aux deux acteurs initiaux de ce conflit, le régime et l’opposition, se sont ajoutés progressivement et avec leur propre agenda, Daech et les forces kurdes.

Les forces gouvernementales, loyalistes au régime de Bachar Al-Assad comprennent aujourd’hui, outre l’armée régulière, des milices et d’autres groupes armés étrangers. En érosion remarquable, elles ne contrôlent plus qu’un petit tiers du territoire syrien,essentiellement à l’ouest du pays, depuis la capitale Damas jusqu’à Lattaquieh, comprenant toute la zone côtière et les villes principales de Homs, Hama et une moitié d’Alep. Il s’agit, de l’essentiel de ce que certains appellent « La Syrie utile », permettant au régime une certaine continuité territoriale. Les services de l’Etat continuent de fonctionner presque normalement dans cette zone où la population est épargnée par les bombardements puisque les forces d’opposition n’ont ni les moyens ni la volonté de les bombarder. Les troupes pro-régime combattent les différentes forces rebelles sur le terrain mais surtout par les airs, où elles disposent d’une suprématie décisive. Leurs hélicoptères larguent quotidiennement des barils explosifs sur les zones rebelles, faisant des dizaines de victimes civiles. L’armée du régime dit se battre également contre Daech, mais en réalité très tardivement, bien moins fréquemment et avec moins de détermination et d’efficacité que contre les insurgés syriens.

L’armée russe en renfort !

L’opposition armée syrienne, appelée au début « Armée syrienne libre » (ASL), dite aussi « rébellion » ou « insurgés », n’a jamais réussi à se constituer en une force coordonnée et centralisée. Elle est composée de différents groupes et brigades locales, formés au départ par des civils qui ont pris les armes. Fortement dépendante de l’aide extérieure pour son financement et son équipement, elle a été dominée petit à petit par les islamistes plus ou moins radicaux. Les fonds des gouvernements mais aussi de sponsors privés des pays du Golfe ont largement contribué à cette islamisation. Des brigades se sont formées, la plupart du temps sans conviction, avec une dénomination islamique leur permettant d’avoir accès à cette manne. Disposant de peu de moyens, l’ASL perd des combattants qui rejoignent les brigades islamistes qui peuvent les armer et leur donner une solde pour faire vivre leur famille. L’ASL a attendu en vain une aide des pays occidentaux qui aurait empêché en partie ce mouvement d’islamisation des combattants.
Après avoir contrôlé la plus grande partie du pays jusqu’en 2014, l’opposition armée n’a cessé de reculer depuis l’intervention russe à l’automne 2015. Après la perte de la moitié est d’Alep fin 2016, elle est essentiellement présente dans la région d’Idlib au nord-ouest de la Syrie le long de la frontière avec la Turquie. Elle continue de contrôler certaines parties dans la périphérie de Damas, la capitale, de Hama, de Lattaquié et de Deraa au Sud. Ces zones régulièrement bombardées par l’armée du régime sont particulièrement visées depuis septembre 2015 par l’aviation russe, poussant une grande partie de leur population à fuir, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.

Combattants kurdes

Les forces kurdes syriennes, contrôlent la zone nord-ouest frontalière de la Turquie majoritairement peuplée de Kurdes syriens. Leurs forces militaires sont composées de combattants locaux, appartenant au PYD, branche syrienne du PKK kurde de Turquie, d’origine communiste. Le retrait du régime des enclaves kurdes à l’été 2012 – les 3 cantons que sont Qamischli, Kobané, Afrin – a profité au PYD. Ces forces kurdes luttent pour reconquérir leur territoire et pour l’autonomie, et ne sont pas considérées comme opposantes au régime syrien. Cette carte est d’ailleurs utilisée par le régime pour affaiblir le CNK (Conseil national kurde), agissant de concert avec l’opposition syrienne réunie au sein de la Coalition nationale syrienne.
Et qui dit kurde, dit Turquie avec le président opportuniste au pouvoir…

Combattante kurde

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